Du séjour d'Adélaïde à Burlats, nous ne
possédons qu'une seule preuve formelle : un acte de 1180
par laquelle elle confirme les donations consenties par son mari
à l'abbaye de Sylvanès. Un autre document , bien qu'il
ait l'inconvénient d'être tardif, mérite considération.
Il s'agit de la " Vie du troubadour Arnaud de Mareuil ",
écrite à la fin du XIIIe siècle et dont on
possède plusieurs manuscrits, où il est précisé
que
"astre e aventura conduis la a la cort de la comtessa de Burlats
que era filha del pros comte Raimon". Le texte précise
un peu plus loin qu'on appelait Adélaïde comtesse de
Burlats parce qu'elle y avait été élevée.
En parlant de " la cort de la comtessa de Burlats " l'auteur
n'aurait donc pas eu nécessairement l'intention de suggérer
que cette cour se tenait à Burlats. Mais les circonstances
à plusieurs reprises de la vie d'Adélaïde le
font supposer avec une grande probabilité. En 1178, elle
reçoit à Castres la délégations des
Rois de France et d'Angleterre venue sommer son mari de réprimer
l'hérésie, en 1181, elle prend la responsabilité
de faire ouvrir au légat pontifical les portes de Lavaur
qui s'étaient fermées devant lui ; en 1185, peu de
temps après avoir accouché, elle est à Lacaune
avec son mari ; en 1189, également en sa compagnie, elle
est à Belmont, en Rouergue. Bien que l'on circulât
beaucoup à cette époque, on conviendra , à
la voir ainsi si souvent rayonner à l'intérieur ou
aux abords immédiats du pays castrais, qu'elle devait plus
habituellement résider à Burlats qu'à Béziers
ou Carcassonne.

Un indice - apparemment léger, mais certainement significatif
- permet d'avancer que c'est à Burlats qu'Adélaïde
éleva son fils Raymond-Roger. Lorsqu'il aura 20 ans, le
troubadour Cadenet, s'adressant à lui , ne l'appellera
pas autrement que " le vicomte de Burlats ". La mère
et le fils auront sans doute vécu habituellement à
Burlats au moins de 1185 - naissance de Raymond-Roger - à
1194, mort de son père.
Jeune épouse, Adélaïde
dut par deux fois, en 1178 et 1181, faire face seule, à la
place de son mari, à deux situations délicates qui
exigèrent d'elle du sang-froid, de la rapidité de
décision et beaucoup de diplomatie. Cela seul aurait pu retenir
l'attention sur une nature hors du commun. C'est cependant sur un
tout autre plan qu'on a gardé sa mémoire. Ce dont
on se souvient, c'est l'exceptionnel attachement que lui voua Arnaud
de Mareuil. Exceptionnel, c'est ce que souligne un bon connaisseur
du monde des troubadours : Arnaud, écrit Faureil, est "
un des rares troubadours qui n'ait aimé et chanté
qu'une seule dame ".
Sa " Vida " nous apprend qu'il fut supplanté
par Alphonse II Comte de Barcelone, roi d'Aragon, qui exigea son
départ.
L'intervention d'Alphonse ne peut être une invention gratuite
du biographe. Pendant vingt ans, de 1166 à 1196, année
de sa mort en pleine force de l'âge, le roi d'Aragon fut
plus souvent de ce côté-ci des Pyrénées
que de l'autre, en continuel conflit avec le comte de Toulouse.
Plus particulièrement entre 1180 et 1185, Alphonse eut
l'occasion de traverser l'Albigeois et sans doute de faire halte
à Burlats.
A la mort de son mari en 1194, le testament ne confia pas à
Adélaïde la tutelle de son fils. Cette décision
a été interprétée de bien des façons.
La plus simple est sans doute que Roger II considéra que,
dans la situation complexe qu'il laisserait derrière lui,
nul ne serait plus à même que Bertrand de Saissac,
son fidèle sénéchal, homme sage, ami très
sur ( Roger peu porté, semble-t-il aux discussions dogmatiques,
ne pouvait faire grief à son ami d'être cathare )
pour défendre les intérêts de son fils écartelé
entre deux protecteurs ennemis : son grand-père ou bientôt
son oncle, le comte de Toulouse et son suzerain, le roi d'Aragon.

Adélaïde mourut peut avant Noël 1200 : elle fut
inhumée auprès de son mari, à l'abbaye de
Cassan, non loin de Béziers.
Les romantiques et, après eux, tous ceux qui ont écrit
sur elle, ont été séduits par la personnalité
d'Adélaïde dont les poèmes d'Arnaud de Mareuil
décrivent non seulement la beauté, mais les qualités
morales. La vie de cette brillante jeune femme, morte à
42 ans, qui dédaigne les fastes de la cour de Carcassonne,
et s'isole dans un lointain vallon est enveloppée d'un
certain mystère. On devine quels furent ses intimes déchirements
: désillusion d'une épouse dont le mari et sans
cesse absent et apparemment quelque peu indifférent, tristesse
de voir se perpétuer la querelle entre son père
et ce mari, qui, par tradition familiale, se devait de prendre
le parti de Barcelone contre Toulouse, inquiétude devant
la tension grandissante à l'égard des croyants cathares
qu'elle respectait, e enfin, malgré les consolations de
la poésie et vraisemblablement celles aussi d'une piété
très simple reçue de sa mère, mélancolie
d'un amour impossible.
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